Une enfance sicilienne by Edmonde Charles-Roux

Une enfance sicilienne by Edmonde Charles-Roux

Auteur:Edmonde Charles-Roux [Charles-Roux, Edmonde]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Autobiographie, Roman historique, Enfance, Sicile, Italie, Littérature française
ISBN: 9782246242697
Goodreads: 26352876
Éditeur: Grasset
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


VIII

FÊTES ET MORTS

Les jours de mon enfance se faisaient suite à un rythme fort inégal : certains jours me paraissaient interminables, les jours d'étude à Palerme; d'autres n'étaient que promesses de joies, c'étaient les veilles de fêtes – les fêtes liturgiques, dont regorgeait le calendrier sicilien et les fêtes patronales (l'obscur saint Fulco, dont je ne vois pas grand-chose à dire, était célébré le 26 octobre).

Pour les Siciliens du peuple, les plus grandes réjouissances de l'année se situaient autour du 2 novembre, jour des Morts. Noël semblait au petit garçon que j'étais une festivité plus attrayante, mais comment l'avouer et qui aurait osé mettre en question la sacro-sainte fête des Trépassés?

A cette époque lointaine, un arbre de Noël était une rareté en Sicile. Seules les familles « évaluées » – dont nous étions –, pourvues de gouvernantes étrangères, anglaises ou allemandes, ainsi que les représentants de la colonie britannique, en ces temps-là particulièrement nombreuse, fêtaient Noël autour d'un sapin. Partout ailleurs que chez les Whitaker, les Gardener et autres Smith, un sapin était plus surprenant que la visite d'un ange et ce n'était pas autour d'un arbre que la majorité des Siciliens avait coutume de célébrer Noël mais, comme partout ailleurs en Italie, autour d'une crèche.

Ajoutons que la montagne sicilienne ne produisant pas de sapins, à l'exception de quelques rares cimes d'accès particulièrement ardu, il eût été difficile et coûteux d'envoyer une expédition au sommet des Madonies, dans le seul but d'y découvrir un hypothétique sapin, de le couper et de redescendre en ville, chargé de cette prise. Aussi avions-nous, chez les Verdura, recours à un subterfuge qui consistait à fabriquer un simulacre de sapin avec des branches de pin qu'un jardinier clouait tête en bas à un quelconque tronc d'arbre. Quant à la décoration de l'arbre, ses bougies rouges, ses boules, ses guirlandes argentées, tout cela était acheté à Paris, soigneusement inventorié, conservé dans du papier de soie et enrichi d'année en année par de nouveaux achats.

Le 24 décembre au soir, il était de tradition d'aller à la messe de minuit chez nos voisins, les Gebbiarossa, qui possédaient une chapelle privée, une des rares occasions où, même très jeunes, nous étions, ma sœur et moi, traités en adultes, joliment fiers de l'être et luttant de notre mieux contre les accès envahissants du sommeil. L'échange des cadeaux se faisait avant la messe, toujours célébrée avec un certain retard, à cause de la nécessité de s'extasier longuement sur la beauté de l'arbre de nos amis, puis sur la beauté de leur crèche, tout en taisant la certitude d'avoir beaucoup mieux chez nous et gardant pour le lendemain les rosseries que nous allions forcément échanger à la table du petit déjeuner : « Tu as vu ce groupe de pasteurs? Lamentable... Et saint Joseph en manteau jaune, tu l'as vu? On n'a pas idée ! Et les chevaux des Mages ! Ils n'étaient même pas caparaçonnés... »

L'ite missa est à peine prononcé, nous allions en somnambules vers la tasse de bouillon rituelle accompagnée de l'inévitable petit verre, contenant « un doigt de Marsala ».



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